Battistina Ravello (1830-1906)
Qui était Battistina Ravello?
Battistina Ravello s'appelait en fait Teresa Battista Raveu.
A Nice, le prénom usuel était souvent le deuxième. Battistina est plus affectueux que Battista. Etait-ce Garibaldi qui l'avait rebaptisée ainsi comme il le faisait assez souvent avec les femmes, en témoigne par exemple Anna Maria, la fille de Battistina qu'il avait appelée Annita, certainement en hommage à sa première femme.
Raveu se prononce en niçois Raveou. Selon l'époque, la transposition écrite dans les actes a varié de Raveu à Ravel, ou Ravello (pour les hommes), Ravella (pour les femmes), Ravelly, Raveo, Revel, Revello, Revelly.
Elle était la dernière de la fratrie de 9 enfants dont 6 ont survécu à la petite enfance : Teresia, Giuseppe, Carlo Andrea Antonio, Onorato, et Augusto Filippo.
La famille semble avoir toujours habité dans le quartier du port de Nice. Lors du recensement de 1822 la maison se situait au col de Villefranche. C'est à cette adresse (8 rue Montboron) que Giuseppe Raveu, le père de Battistina est mort à 83 ans en 1867. L'acte de décès précise «décoré de la médaille de Sainte-Hélène », ce qui mériterait quelques recherches sur les faits de guerre à l'origine de cette distinction, sachant que Giuseppe était né en 1783. Il était cultivateur comme l'atteste plusieurs actes d'état-civil : acte de naissance d'Honorine en 1883, acte de naissance de sa petite-fille en 1848, acte de décès en 1867. Il est devenu propriétaire en 1830 comme l'atteste le registre des hypothèques (page 53 sur 103, volume 114, folio 101). Il semblerait [1] qu'il possédait une parcelle de 24 ares plantée d'oliviers. Il n'était donc pas marin comme on l'avait indiqué parfois.
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[1] D‘après le cadastre, Joseph Raveu possédait une parcelle N°14 de la section D (relative au col de Villefranche) dans le quartier « Saint-Roch » qui faisait 24 ares et 20 centiares plantée d'oliviers. Ce terrain était situé sur le plan le long de la route qui va de la grande corniche actuelle (Bd Bischoffen, anciennement route de Gênes) à Villefranche-sur-mer et qui s'appelle maintenant Boulevard des 2 corniches. C'est là qu'il habitait avec sa fille Teresia au moment du recensement de 1861. Désormais il y a des maisons.
La vie de Battistina
Quand elle quitta Nice avec Garibaldi pour Caprera en décembre 1855, Battistina avait 26 ans, puisqu'elle était née le 6 septembre 1830 à Nice et sa mère venait de décéder à l'âge de 66 ans, Maria Francesca Navello le 10 juillet 1854 (maison Gauberti).
On trouve à Nice Teresia, la sœur aînée, et 2 de ses frères Carlo Andrea Antonio et Onorato, mais rien sur Giuseppe qui serait né en 1821 (recensement 1822, page 22 sur 517), ni sur Augusto né en 1827.
Teresia est restée célibataire et était blanchisseuse, profession fort répandue à Nice.
Son frère, Carlo Andrea Antonio Raveu s'est marié à Nice avec Teresa Faraut en 1847 et a eu 2 enfants, Antonia Giuseppina et Giuseppe Lorenzo. Sur les actes d'état-civil il est indiqué qu'il était maçon. Sur l'acte de baptême de sa fille en avril 1848 il est précisé que c'est le grand-père qui fait la déclaration de naissance car le père est parti en campagne militaire en Lombardie, donc il était visiblement garibaldien. On ne trouve plus de trace de cette famille à Nice à partir de 1851, date de la naissance du 2è enfant du couple.
Son autre frère Onorato s'est marié en Algérie en 1861 avec une jeune fille espagnole née en Algérie. Il s'y est installé. Il était maçon comme son frère Carlo. Il semblerait qu'il ait lui aussi quitté Nice juste après l'annexion…
En définitive seules Teresia et Teresa Battista sont restées à Nice où elles sont mortes.
J'ai retrouvé Battistina et sa fille sur le recensement de 1861. Elles habitaient dans le quartier du Port, Boulevard de l'Impératrice de Russie (actuellement Boulevard Stalingrad) (canton Est, page 364 sur 469). Sur le recensement de 1866, elles habitaient ensemble avec Teresia. La profession indiquée aux agents recenseurs était celle de « ménagère », c'est-à-dire « femme au foyer ». Les deux soeurs habitaient toujours ensemble en 1891 après la mort d'Annita en 1875 à une rue d'écart, quai des deux-Emmanuels, comme l'indique le recensement de 1891 (Canton Est, page 96 sur 560).
Teresia, la soeur aînée, habitait toujours au numéro 25 du quai des deux-Emmanuels au moment de son décès à 82 ans en 1898. Drôle de coïncidence, l'adresse où habitaient les 2 soeurs correspond à peu près à l'emplacement de la maison occupée par Garibaldi qui a été détruite suite aux travaux d'agrandissement du port Lympia (lieu appelé lou Cuù dou Buù, "le cul du boeuf" comme l'indique Menica Rondelly dans la brochure "Lou presepi nissard").
Battistina est morte à l'hôpital Saint-Roch à l'âge de 76 ans le 17 novembre 1906. Elle était restée célibataire. Sa profession indiquée au recensement de 1891 était celle de domestique. Sa tombe n'existe plus.
Elle a vécu à Nice discrètement après sa rupture avec Garibaldi. Les niçois semblent avoir presque tous respecté cette femme car ses mésavantures n'ont jamais été évoquées publiquement, probablement pour ne pas ternir l'image de Garibaldi. Ainsi Menica Rondelly dans son récit du pélerinage à Caprera n'évoque pas sa liaison avec une concitoyenne. Mais Louis Cappatti dans un numéro spécial des "annales du Comté de Nice" en 1931 publia un article intitulé "les haltes de Garibaldi à Nice de 1848 à 1859" dans lequel il qualifia tout de même Battistina de "concubine niçoise"...
Sur le fait que Battistina était «illétrée» comme l'indique Speranza de Schwartz [2], la formule était habituelle pour les actes paroissiaux et signifiait qu'ils ne signaient pas. Cela ne signifie pas qu'elle était idiote pour autant mais témoigne plutôt de la jalousie entre les 2 femmes. La famille de Battistina ne semble pas non plus avoir été pauvre, puisque les parents étaient agriculteurs propriétaires et que 2 fils exerçaient le métier de maçon. Par ailleurs Teresia habitait en 1891 quai des deux-Emmanuels, dans un immeuble récemment construit puisque le quai a été consolidé et prolongé, donc elle ne semble pas avoir vécu dans la pauvreté non plus. Une grande partie de la population à Nice, comme en France d'ailleurs, était «illétrée»
Comment Battistina a-t-elle été choisie pour s'occuper des enfants de Garibaldi à Caprera ? on peut penser que si au moins un de ses grands frères était garibaldien, Carlo Andrea Antonio, c'est peut-être lui qui a présenté sa sœur, sachant que Garibaldi n'a pas dû la choisir par hasard tellement il affectionnait ses enfants. Elle a dû être recommandée par des amis niçois et probablement par la femme de Giuseppe Dayderi. Garibaldi était resté à Nice deux ans avant de s'exiler à Caprera. En effet, il est revenu de son périple en Amérique, en Chine et en Australie début mai 1854 via un navire américain venant de Newcastle à Gênes [3]. Il rentre à Nice où il retrouve ses enfants qu'il n'a pas vus depuis plus de 4 ans. Il n'achète Caprera qu'à la fin 1855 avec l'argent de l'héritage qu'il obtient après le décès de son frère Felice décédé à Nice le 11 novembre 1855.
Il a eu le temps de trouver une personne de confiance capable de s'occuper de ses enfants sur une île. Peut-être était-ce déjà elle qui s'occupait de sa fille à Nice quand elle avait été confiée aux Dayderi, couple sans enfants et relativement aisé.
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[2] Elpis Melena ( Espérance Von Schwartz), Garibaldi. Souvenirs de sa vie publique et privée. Avec plus de cent lettres du Général à l'Auteur. Paris, Ernest Leroux, 1885
[3] L'avenir de Nice 11 mai 1854
Gravure de la maison de Garibaldi sur le Port de Nice imprimée en 4è de couverture de la brochure "Lou presepi Nissard" au lieu appelé "Lou Cuù dou Buù", le cul du boeuf.
Cette maison qui n'existe plus appartenait à Félix Gustavin. La vue a été prise du quai Lunel. Un article a été consacré aux différentes maisons habitées par les Garibaldi sur le port : A propos de la maison de Garibaldi, Simonetta Tombaccini Villefranque, Nice Historique 2007 (2):97-106 (Consultable librement sur le site de Nice Historique)
Anna Maria Imeni Garibaldi, la fille de Battistina
La fille qu'elle avait eue avec Giuseppe Garibaldi était née à Caprera le 5 mai 1859 (baptistée seulement le 25 juin 1859 sous le nom de Anna Maria Imeni). Garibaldi avait un peu la manie d'ajouter au prénom officiel des prénoms très particuliers à certains de ses enfants, tels Menotti et Ricciotti qui sont des patronymes de patriotes italiens, histoire de se démarquer de la coutume de donner des prénoms chrétiens. Anna Maria, surnommée Annita, mourut subitement le 25 août 1875 à Caprera où elle était en visite chez son père, probablement d'une encéphalite hépatique fulminante après avoir mangé des fruits de mer. On connaît un peu sa vie grâce aux lettres échangées entre son père et Speranza de Schwartz. Elle a été envoyée par son père sur proposition de son amie Speranza en Suisse dans un pensionnat en juillet 1868. Elle est enterrée à Caprera à côté de son père. J'ai relevé que dans la brochure que Menica Rondelly a consacré au pèlerinage des vétérans et sympathisants en 1902 "De Nissa a Caprera", la présence des tombes des filles de Garibaldi - Rosita et Annita - n'est pas mentionnée, alors que figure bien une photo prise dans le cimetière. Les niçois étaient respectueux de la vie privée de leurs concitoyens en ce temps-là.
Les descendants des Raveu
Les recherches généalogiques sur la famille font apparaître que les Raveu ont habité Nice (paroisse Sainte-Réparate, puis paroisse Saint-Roch) depuis le mariage en 1728 de Sebastiano fils de Guilgliemo Ravel du village des Ferres (près de Grasse, sur la rive droite du Var, donc en Provence et pas dans le Comté de Nice) avec une niçoise, Francesca Alberti. Le nom Ravel (ou Revel) a été par la suite écrit Raveu sur les actes paroissiaux de Nice. Battistina était de la 6è génération des Ravel (Giuseppe, Claudio, Claudio, Sebastiano, Guiglielmo).
Apparemment, le seul qui ait des descendants connus sont ceux d'un frère de Battistina, Onorato parti en Algérie et marié dès 1861. Cette famille a prospéré en Algérie.
Gianluigi Alzona vient de consacrer un livre qui rassemble tout ce que l'on sait sur Battistina et sa fille Anita ("Battistina e la piccola Anita" Paolo Sorba Ed., mai 2013, 94 pages)
Angela Molina dans le rôle de Battistina
Le rôle de Battistina a été interprété par la superbe et attachante actrice Angela Molina dans une série télévisée italienne de 4 épisodes de 1987 "Garibaldi il generale" de Luigi Magni. Il est possible de revoir ce film découpé en plusieurs séquences sur le site http://www.youtube.com [4]. L'ambiance est bien rendue et les images sont très belles. L'acteur Franco Nero est nettement plus photogénique que Garibaldi et Battistina est exactement comme on pouvait l'imaginer.
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